J’ai cherché longtemps le courage et les mots pour nommer le poids de mes douleurs. J’ai creusé très profondément dans le sol pour y enfouir mes monstres que personne d’autre ne voyaient, en me faisant croire qu’ils allaient disparaître. Pis à un moment donné, ça m’a rattrapé. Mes monstres ont créé racines, ont retrouvé leur chemin, ont poussé jusqu’à l’extérieur du sol comme une plante incontrôlable. Pis pendant un temps, ils ont pris possession de tout ce que j’étais, de mon corps, de ma tête. Les racines se sont étendues à l’intérieur de tout mon être et les feuilles ont continué à pousser, essayant de cacher ma personne, comme enfermée derrière une barricade de solitude.

Mon mal-être a explosé, il s’est faufilé dans chaque recoin de ma personne. C’est mental, mais c’est aussi physique. Des douleurs fantômes, selon mon médecin. J’appelle souvent, pour parler de mes nouvelles douleurs, de mes nouvelles inquiétudes. Elle soupire, je l’entend. Elle doit parler de moi à ses collègues comme une anecdote dans son quotidien. Et pendant ce temps-là je pleure pour rien. 

Puis, elle finit par accepter de passer des tests. Radiographies, rien. Prises de sang, rien. Une autre prise de sang, toujours rien. Essayer de trouver une solution à mes problèmes, comprendre ce qui se passe en moi. Pourtant, je ne dors jamais beaucoup et jamais bien, je n’ai pas un sommeil réparateur; je fais parfois quatre cauchemars par nuit; des flashbacks à l’occasion; des douleurs au dos, aux poignets, au ventre, au cou, à la tête, aux doigts, aux jambes, surtout aux genoux, comme une osti de poussée de croissance qui finit jamais; des nausées continuelles, des heures la face collée sur le bol de toilette pour jamais finir par vomir; le feeling de trente hamsters dans ma tête qui roulent de tout bord tout côtés dans leurs grosses boules en plastique et qui se rentrent dedans à grands coups de BANG; des émotions fortes constamment; pas d’énergie; en même temps d’avoir le corps qui shake constamment; les sueurs abondantes comme une femme de 50 ans en ménopause pendant que tout le monde se gèle le cul, mais 30 ans trop tôt; des heures passées à quatre pattes à chercher mon air avec le cœur qui bat beaucoup trop vite pour une fille pas en train de courir un marathon; des pensées négatives sur mon apparence et sur mes habiletés; des idées de suicide, qui viennent et qui repartent; des idées de me faire du mal, faque on va au tattoo shop pour aller se cicatriser la peau en beauté. 

« C’est juste le stress, ça va passer », sa belle conclusion. ‘’pis t’sais, j’connais ta mère hein’’. Qu’elle me répond après avoir refusé ma demande de congé maladie parce que je suis en train de péter au frette. Elle connaît ma mère, l’hypocondriaque. Elle me compare à elle, comme si j’étais assurément comme elle. Première micro-agression. 

« Ça va passer, fais de la méditation, fais du yoga, colorie des mandalas ». 

Faque j’essaie toutes les solutions, les combinaisons d’exercices physiques et mentaux à faire pour diminuer l’anxiété. Pis des centaines de salutations au soleil plus tard, aucune amélioration. Je continue de dropper mentalement et physiquement. Le moindre échec, la moindre malchance, c’est une catastrophe de plus dans ma vie. Mes monstres continuent de faire grandir leurs racines et envenimer toute ma vitalité et mes sourires. Je suis fatiguée d’être fatiguée. Je vis ma vie quand même, et j’attends rendue chez moi pour pleurer. Je me cache désormais par choix derrière les grandes feuilles de ma plante incontrôlable. Ma plante monstrueuse devient mon refuge. Je m’y perds et je m’isole.

Je me trouve une psy, ça convainc mon médecin de passer des tests psychologiques, pour de vrai.

‘’T’as un p’tit trouble de l’anxiété généralisée’’, que me dit mon médecin, finalement. Deuxième micro-agression. Ça existe pas un p’tit trouble de l’anxiété généralisée, madame.

Faque là, je commence le vrai travail sur moi, maintenant que je sais ce que j’ai. Du moins, j’essaie. Le manque de soutien de mon médecin et de ma psy a vraiment joué contre moi.

Je suis anxieuse avec tout, c’est ça le diagnostic. Et les gens comprennent pas. On me dit de me calmer, on me fait sentir que je suis folle, que j’exagère, que c’est rien. On banalise mon sentiment et on minimise l’impact de leurs mots sur moi. Et j’ai pas la force pour me débattre. Je me laisse violenter par leur méconnaissance et leur apathie. 

Je perds ma psy, elle me ghost. 

Puis la pandémie arrive. Et c’est le moment fatidique, j’arrive pu trop à séparer le travail de la vie personnelle. On exige de moi que je travaille, rien de plus. ‘’Tu travailles, tu rentres chez toi, tu te confines, tu dors (mais pas tant) et tu retournes travailler.’’

Pis, miraculeusement, j’ai une nouvelle psy, une qui me rappelle toujours. On finit par comprendre ensemble que l’héritage de ma mère, c’est mon TAG. J’ai un attachement insécure, j’ai été négligée, violentée psychologiquement, j’ai été abandonnée. Maintenant, j’ai peur de l’abandon et du rejet. Je suis orpheline, je n’ai pas de parents sur qui compter. Je me débrouille seule.

On finit aussi par comprendre que j’ai probablement un trouble de stress post-traumatique. J’ai été agressée sexuellement à répétition par mon ex. En plus de la violence verbale, psychologique et même physique à quelques reprises. Je n’ai jamais guéri complètement. Je n’ai pas reçu l’aide nécessaire, ni la sécurité lorsque je l’ai demandée au cégep. Encore une fois, j’me suis débrouillée seule. 

On a aussi vu que je fais possiblement une dépression actuellement, là maintenant, quelque part entre ces lignes.

Donc, on se met à travailler pour de vrai sur mes monstres.

Je fais de mon mieux, mais je ne vois pas trop le bout. Et comme tout le monde qui souffrent de troubles de santé mentale, nous avons seul.e.s la responsabilité de notre santé mentale. Ce sont des facteurs sociaux qui causent les troubles de santé mentale. Pourtant, nous avons un gouvernement qui se déresponsabilise. Une compagnie amasse des millions pour des organismes en santé mentale, une journée par année. Le gouvernement s’en lave les mains, pas besoin d’investir dans les services en santé mentale, on va faire le strict minimum, comme d’habitude. 

J’aurais aimé vous dire que l’histoire fini avec une fin heureuse, super légère et douce pour vos yeux et votre tête, mais ce serait mentir. Je n’ai pas une vie malheureuse, mais je dois me battre au quotidien contre ma plante incontrôlable. Je vis mes émotions plus intensément que la moyenne des gens; j’ai peur de beaucoup de choses, souvent des peurs irréalistes, mais tout de même très envahissantes et très proches du réel, dans ma tête du moins; je vis les échecs beaucoup plus durement; tout ce qui peut sembler simple pour vous peut être un grand défi pour moi. 

J’essaie d’apprivoiser ma plante, je lui ai donné un nom, je m’y suis attachée, d’une certaine manière. Au départ, j’ai essayé de la faire mourir, mais ça n’a pas réussi. Ça ne se guérit pas, un trouble de l’anxiété généralisée, comme ma plante ne peut pas mourir. Alors, j’essaie de travailler avec elle, plutôt que contre elle. 

Crédit photo: Adèle photographie

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